-from
drowsiness to awakening-

Ce
long entretien avec David Sanson, mentor et maître à bord de THAT
SUMMER, nous permet de comprendre et de disséquer les fondations, la
gestation et les orientations passées et futures de sa musique. Un univers
intimiste, sensible et convulsif, lointain parent d’un CINDYTALK contemplatif,
proche cousin de la musique de son ami Tony Wakeford (SOL INVICTUS) qui a participé
à « DROWSINESS OF ANCIENT GARDENS ». L’occasion
de suivre un itinéraire solitaire et sans concessions qui offre à
l’auditeur bien plus que des sons…

 

Quand
THAT SUMMER a-t-il été fondé? Avec quels membres ?

THAT
SUMMER est un projet à géométrie variable dont je suis
l’unique pilier, puisque c’est moi qui écris et compose la
totalité des morceaux – que je soumets ensuite à d’autres
musiciens et/ou amis, puisque je ne suis pas capable de jouer de tous les instruments
! Ce projet est né de manière assez progressive. J’ai longtemps
étudié le piano et les percussions au Conservatoire, tout en n’écoutant
presque que de la musique classique jusqu’à l’adolescence.
A cette époque, j’ai ensuite découvert, grâce à
U2, puis à CURE, que des groupes de « rock » pouvaient
susciter chez moi une émotion incroyable – et, en même temps, que
ces études de musique me laissaient insuffisamment de liberté.
C’est alors que j’ai commencé à jouer (aux claviers)
dans différents groupes, comme tout adolescent qui « se respecte »
– groupes qui, comme souvent, se sont arrêtés au bout de quelques
répétitions stériles… En fait, je crois être assez
peu enclin au compromis… Et un jour, en m’asseyant au piano et en improvisant,
je me suis rendu compte que j’étais capable de faire naître
des bribes de morceaux, de ces suites d’accord qui définissent
les schémas harmoniques propres à un musicien (dont le talent
se révélera ensuite à sa capacité à jouer
avec eux, à les travailler et les faire évoluer, au moyen, notamment,
de la production), qui me plaisaient et me remplissaient d’une sorte de
bonheur inconnu. J’ai alors commencé à « composer »,
à mesure que je me prenais de plus en plus de passion pour la musique
en général, et la cold wave en particulier – ma première
chanson doit dater, si je me souviens bien, de l’automne 1988… Au départ,
cette pratique n’était envisagée que comme un simple plaisir
personnel : il est courant d’entendre des musiciens raconter qu’ils
font de la musique avant tout pour eux-mêmes, parce qu’ils avaient
l’envie au départ d’entendre une musique qui ne leur semblait
pas exister encore – et, dans mon cas, c’est un peu comme ça que
cela a fonctionné. Jusqu’à ce que je me risque ensuite à
faire écouter mes « oeuvres » à des amis,
de plus en plus fréquemment – et un jour, l’une de ces cassettes
a abouti entre les oreilles de Tony Wakeford, avec lequel j’avais entre-temps
noué une relation d’amitié… Tony m’a immédiatement
suggéré de réaliser un album avec son aide, disque qui
aurait dû ensuite paraître sur World Serpent. Et c’est ainsi
qu’est né « DROWSINESS OF ANCIENT GARDENS »,
de même que THAT SUMMER d’ailleurs, puisque j’ai pris ce nom
pour les besoins de la publication…: auparavant, il y avait eu toute une succession
de noms, en général en latin – langue que j’ai finalement
abandonnée en raison de tous les aspects « cliché »
qui lui étaient attachés…; pour moi, le nom d’un groupe
ou, en l’occurrence, d’un projet est une question qui ne doit pas
être prise à la légère.

Quels
ont été les groupes ou artistes qui t’ont marqué,
qui t’ont poussé à faire de la musique…? Que penses-tu
en particulier des musiques « dark » (wave, gothic, heavenly…)…?

Comme
je l’ai dit, jusqu’à l’âge de treize ou quatorze
ans, j’ai écouté presque exclusivement de la musique classique,
puisque c’est ce que mes parents – qui sont au moins aussi passionnés
que moi – écoutaient à la maison. Ensuite, en particulier sous
l’influence d’un cousin très proche dont je me rappelle qu’il
est arrivé un jour avec un tas de disques (au nombre desquels CURE, SIMPLE
MINDS, NEW ORDER, JOY DIVISION, VIRGIN PRUNES…), j’ai découvert
des horizons nouveaux, inconnus, qui ont été à l’origine
de chocs parmi les plus mémorables, les plus importants de mon existence…
Plutôt que des artistes (la liste serait trop longue…!), je dirais que
ce sont des disques qui m’ont marqué, littéralement bouleversé.
Je citerai en premier lieu le « FAITH » de CURE, et aussi
« UNKNOWN PLEASURES » de JOY DIVISION, puis « VICTORIALAND »
des COCTEAU TWINS, « WITHIN THE REALM OF A DYING SUN »
de DEAD CAN DANCE, « AGAINST THE MODERN WORLD » de SOL
INVICTUS, « 154 » de WIRE (que j’ai découvert
sur le tard)… Et, encore plus tard, « THE GREAT ANNIHILATOR »
des SWANS, et le « SUBLIMINAL SANDWICH » de MEAT BEAT
MANIFESTO… Mais il faudrait aussi parler des CHAMELEONS, de AND ALSO THE TREES,
de THIS MORTAL COIL, de DAVID SYLVIAN, de SIOUXSIE AND THE BANSHEES, de NEW
ORDER, de SONIC YOUTH, de SLOWDIVE (pour « PYGMALION »),
de DEATH IN JUNE (jusqu’à « BROWN BOOK »),
de BREATHLESS – la liste est interminable… J’ai été très
marqué par ce que l’on appelait « autrefois »
la « cold wave » – beaucoup moins par le gothique, même
si j’ai beaucoup aimé BAUHAUS, les VIRGIN PRUNES ou les premiers
CHRISTIAN DEATH (jusqu’à « THE SCRIPTURES »)
– et je me suis peu à peu constitué une discothèque volumineuse…
En revanche, je ne suis absolument pas attiré par l’espèce
de « revival » que les musiques sombres connaissent depuis
quelques années, en Allemagne en particulier…: pour moi – même
si cela va sans doute choquer nombre de tes lecteurs -, tout a été
dit, et les limites du genre ont été suffisamment explorées.
En 1994, arrivant en Allemagne, à Leipzig (où j’ai vécu
pendant trois ans, et où j’ai même aidé à l’organisation
du festival gothique qui s’y déroule chaque année), j’ai
pourtant essayé de m’intéresser à tous ces groupes
qui me semblaient rencontrer un succès incroyable. Mais j’ai été
très déçu – je trouve que la plupart d’entre eux
se contentent de décliner les poncifs d’une musique que d’autres
ont explorée à fond, et se complaisent dans des clichés
dans lesquels je ne me reconnais pas… Tout cela dit sans aucune volonté
d’arrogance…: au moins, si ces groupes plaisent à un public,
voire amènent celui-ci à découvrir des choses comme CURE
(sans doute mon groupe préféré de tous les temps, dont
je ne peux que regretter ce qu’ils sont devenus depuis 1987…), JOY DIVISION
ou WIRE, on peut parler de réussite… Avec le temps, de toute manière,
on rejette beaucoup de choses de côté…: nombre de groupes « mineurs »
dont j’ai été fan ont aujourd’hui bien mal vieilli,
et ne subsistent que ceux qui ont véritablement créé quelque
chose… En tout cas, pour moi, en 1998, je ne vois pas vraiment l’intérêt
de jouer de la musique gothique. Mon horizon s’est considérablement
élargi ces dernières années, parallèlement à
celui d’amis très proches qui ont vécu une évolution
similaire…; je m’intéresse beaucoup aujourd’hui aux nouvelles
musique électroniques, et je trouve que la « techno »
(pour désigner celles-ci en un mot) a eu pour principal mérite
de provoquer des mélanges salutaires, et de m’amener à faire
de nouvelles découvertes. Aujourd’hui, je retrouve dans certains
morceaux de PORTISHEAD, MEAT BEAT MANIFESTO, KOOP, DJ SHADOW ou MASSIVE ATTACK
des émotions et des atmosphères pas si éloignées
de celles qui m’ont tellement plu chez les groupes cold wave… J’écoute
toujours beaucoup de « vieilleries », ou de rock à
guitares (SWANS, SONIC YOUTH, SLOWDIVE, PALE SAINTS…), je ne pourrais pas
m’en passer et continuerai toujours de préférer une chanson
solide et des guitares émouvantes à une musique électronique
qui aura sûrement terriblement vieilli dans cinq ans, mais la nouveauté
me semble plutôt être à rechercher de ce côté-là…
De même, je trouve que la musique classique – que j’écoute
toujours très régulièrement – recèle des merveilles…:
certaines oeuvres d’Arvo PART ou de GORECKI devraient séduire les
fans de DEAD CAN DANCE -et certains quatuors de CHOSTAKOVITCH sont tout autant
baignés de désespoir que les morceaux de JOY DIVISION… Il me
faudrait aussi évoquer le jazz (le label ECM en particulier), l’ambient
(de Made to Measure à Extreme ou Subrosa – mais pas Cold Meat Industry
!!!), etc.

De
là à dire que tous les musiciens dont je t’ai parlé
m’ont poussé à faire de la musique… je ne sais pas – ou
alors, indirectement. Je reste, au départ, un « fan »,
capable de s’enthousiasmer pour certains disques… et je n’aurais
pas la prétention de me comparer à ces « modèles ».
Si incitation il y a eu, celle-ci aura été sous-jacente – peut-être
que d’entendre des musiciens placer l’émotion au-dessus de
la technique, ou des chanteurs pas forcément charismatiques, m’aura
inconsciemment servi… Et puis, il est évident que tous les disques
que j’aime sont autant de viviers où j’ai parfois pu trouver
telle ou telle idée d’arrangement ou de production…

Que
penses-tu de la scène heavenly-néoclassique française (COLLECTION
D’ARNELL ANDREA, CHERCHE-LUNE, XVIIème VIE, REGARD EXTREME, END
OF ORGY…) ?

Déjà,
pour moi, il s’agit de deux termes avec lesquels j’ai des difficultés…:
« Heavenly » tire son origine d’un concept « marketing »
– les compilations du label Hyperium rassemblant des groupes dont le point commun
était d’avoir des chanteuses qui essayaient plus ou moins bien d’imiter
Liz Fraser et Lisa Gerrard – qui ne me touche guère, car je préfère
les groupes de la « première génération »,
comme je l’ai déjà laissé entendre. Et puis « néoclassique »
est tout de même un mot assez prétentieux (le néoclassicisme
est une tendance à part entière de la musique contemporaine, qui
n’a pas grand-chose à voir avec les groupes actuels qui s’en réclament),
auquel je trouve préférable de substituer : « rock
d’inspiration classique », ou « musique à prétention
classique faite à base de synthétiseurs »… Cela dit,
pour répondre à ta question, je connais mal les groupes dont tu
me parles – quelques titres de XVIIème VIE ou de END OF ORGY, qui m’ont
moyennement convaincu -, mis à part COLLECTION D’ARNELL ANDREA,
qui appartient à une génération déjà antérieure.
J’aime vraiment bien certains morceaux de COLLECTION (notamment le premier maxi,
le premier LP et l’album « VILLERS-AUX-VENTS », le premier
depuis longtemps à apporter un certain renouvellement d’inspiration),
sans trouver cela génial pour autant. Je les ai vus plusieurs fois en
concert, je me rappelle même leur avoir écrit à l’époque
du premier maxi – et je saurai éternellement gré à Jean-Christophe
d’Arnell de m’avoir recommandé dans sa réponse la lecture d’un
livre de Pierre-Jean Jouve : « Le Monde désert »,
devenu depuis l’un de mes livres de chevet. Même si je reste un peu critique
face à leur musique, que je trouve parfois un peu trop uniforme, il est
certain que je partage avec COLLECTION un certain nombre de fascinations ou
d’intérêts (la nature, la guerre, la période du tournant
du siècle…).

J’ai
pourtant toujours été très friand de « rock »
français, je me suis longtemps intéressé de très
près à la scène française, mais là encore,
mes références restent très ancrées dans les années
quatre-vingts, durant lesquelles plusieurs groupes vraiment passionnants ont
vu le jour : MARQUIS DE SADE, MARC SEBERG (leur premier album est après
tout le seul vrai bon album de cold française), ORCHESTRE ROUGE, THE
BONAPARTE’S (deux albums excellents), BAROQUE BORDELLO (produit, comme
les BONAPARTE’S, par LOL TOLHURST), les premiers JAD WIO, les groupes
du label Madrigal (COMPLOT BRONSWICK, TANIT, END OF DATA…), SECONDE CHAMBRE,
LEITMOTIV (les premiers, pas le groupe qui porte aujourd’hui ce nom), et plus
tard ASYLUM PARTY (que j’ai vraiment adoré) et RESISTANCE, à mon
sens l’un des tout meilleurs groupes français des années quatre-vingts…
Voilà des groupes que j’ai beaucoup écoutés.

Lorsque
j’écoute ton album, je ne peux m’empêcher de penser
aux univers intimistes de CINDYTALK et de VIRGINIA ASTLEY. Acceptes-tu ces références
?

La
question des influences est, comme je viens de le dire, quelque chose de difficile
à cerner – mais dont il faut en tout cas être bien conscient, et
qu’il faut savoir assumer. Dans le cas présent, il s’agit
plutôt de similitudes d’atmosphères, et je peux parfaitement
accepter tes comparaisons – en tout cas pour ce qui est de CINDYTALK, puisque
je ne connaissais rien de VIRGINIA ASTLEY jusqu’à ce que tu aies
la gentillesse de m’envoyer une cassette… De toute manière –
et c’est d’ailleurs là l’un des pouvoirs les plus magiques
de tout oeuvre d’art -, la musique évoque toujours des choses différentes
suivant les personnes, puisqu’il s’agit de quelque chose de fondamentalement
intime…

J’ai
découvert CINDYTALK par l’intermédiaire de Bertrand (le
fondateur du label Adiaphora), dont c’était l’un des groupes
préférés. J’aime énormément « CAMOUFLAGE
HEART » et « IN THIS WORLD », même si
je trouve l’univers de Gordon Sharp parfois excessivement désespéré,
nihiliste, et éprouvant à écouter. Mais, à la réflexion,
je m’aperçois que j’ai toujours fait figurer un morceau de
CINDYTALK sur les cassettes que j’envoyais aux ingénieurs du son
pour préparer les sessions d’enregistrement ; sans doute en raison
de la production, des atmosphères dont sont chargés certains titres…
CINDYTALK a parfois été évoqué par la critique au
sujet de mon album, ainsi que THIS MORTAL COIL, qui est une influence dont je
perçois tout de même plus la trace dans « DROWSINESS
OF ANCIENT GARDENS »… De même, je pense que cet album est
nettement plus voisin de Pieter Nooten (membre de XYMOX, dont je ne peux que
recommander chaudement l’unique album, paru sur 4AD et enregistré
avec Michael Brook) -ndlr : un bijou de 1987 intitulé « SLEEPS
WITH THE FISHES »-
que de SOL INVICTUS, qui a été
très souvent cité à son propos…

Merci,
en revanche, de m’avoir fait découvrir VIRGINIA ASTLEY, dont j’ignorais
l’existence jusqu’à ce jour. Je n’aime pas toujours
ce qu’elle fait, mais une musicienne qui a joué du violoncelle
avec les BANSHEES, invité David Sylvian sur ses disques et intitulé
un album « FROM GARDENS WHERE WE FEEL SECURE » ne peut
être que quelqu’un de bien…

Comment
s’est déroulée la collaboration avec Tony Wakeford ? Le
connaissais-tu avant ? Que penses-tu de son travail ?

J’ai
rencontré Tony Wakeford pour la première fois à l’occasion
d’un concert en France, peu après la sortie de « AGAINST
THE MODERN WORLD » et « LEX TALIONIS », deux
disques dont j’étais vraiment très, très fan. Je
l’ai ensuite revu à d’autres concerts, lui ai rendu visite
à Londres, et de fil en aiguille, une véritable amitié
s’est nouée entre nous. Nous nous rencontrions assez régulièrement
des deux côtés de la Manche, et cela a notamment débouché
sur son premier album solo: « LA CROIX », première
référence du label Adiaphora, qui a été enregistré
en partie chez moi. Un jour, chez un ami, il est tombé par hasard sur
une cassette de ma musique, et il m’a encouragé à réaliser
un album qui devait à l’origine sortir sur Tursa/World Serpent.
Je lui dois donc une fière chandelle, car s’il n’avait pas
été là, je pense que je serais encore en train de jouer
dans mon coin, et d’enregistrer des cassettes pour mes amis et moi !…
Le principal rôle qu‘il a joué dans THAT SUMMER a donc été
celui d’initiateur. Il est ensuite venu en France pour l’enregistrement,
au cours duquel il est intervenu pour m’aider à jouer des instruments
ou à chanter, et pour me faire profiter de son expérience du studio.
Plusieurs idées sur l’album viennent ainsi de lui (des idées
de production, mais aussi le fait, par exemple, que la majeure partie des morceaux
soit des instrumentaux), même s’il ne saurait être tenu pour
le producteur du disque. Je précise cela car je sais qu’il y tient
: d’abord, parce que c’est vrai que son rôle s’est trouvé
limité du fait qu’il était assez malade durant l’enregistrement
et n’a pu être présent constamment ; ensuite, parce que je
sais aussi qu’il y a certaines choses sur « DROWSINESS… »
qui lui déplaisent et qu’il ne cautionne pas… Depuis, nous continuons
de nous voir régulièrement, même si la distance (je viens
de passer trois années en Allemagne) n‘a pas été
très profitable. Il vient d’ailleurs de me demander à nouveau
un morceau pour figurer sur le disque accompagnant un magazine qui semble devoir
être une nouvelle mouture de son projet « ON » (ndlr :
cf chronique TRINITY n°1) pour lequel j’avais déjà enregistré
le titre : Some Stations)… Cela dit, je ne pense pas que nous soyons
amenés à collaborer ultérieurement de façon vraiment
poussée.

En
ce qui concerne son travail, j’adore, comme je l’ai dit, ses premiers
disques, en particulier « AGAINST… » (un de mes disques
préférés), « LEX TALIONIS » et « THE
KILLING TIDE ». Par la suite, j’ai quelque peu décroché,
même si « KING & QUEEN », par exemple, reste
un très bon disque, malgré sa production un peu trop monolithique
et policée à mon goût : d’abord, parce que mes goûts
ont quelque peu évolué, et ensuite, parce que je trouve que la
musique de SOL INVICTUS a trop tendance à se répéter…
Malgré tout, Tony est un mélodiste souvent très émouvant,
et surtout quelqu’un d’ouvert, de curieux, qui aime découvrir
ou essayer de nouvelles choses – et c’est tout de même une qualité
fondamentale.

Est-ce
que l’album de THAT SUMMER a reçu un accueil positif à l’étranger
?

Dans
la mesure où « DROWSINESS… » constituait ma première
expérience de publication, j’ai du mal à dire si l’on peut parler
de succès. L’album s’est en tout cas bien vendu (il est pratiquement
épuisé), il a été chroniqué un peu partout
(de façon toujours positive, curieusement – parce qu’il me semble que
je n’en perçois plus que les points faibles !), j’ai eu de nombreux contacts
avec des magazines étrangers ainsi qu’avec des fans… Et il est certain
que c’est surtout à l’étranger qu’il a été vendu,
surtout, je pense, parce que la scène « cible »
– pour parler en termes honteusement commerciaux -, c’est-à-dire celle
qui tourne autour des musiques « sombres », disons, me
semble y être plus développée : le disque s’est bien mieux
vendu en Allemagne, au Benelux ou aux Etats-Unis qu’ici, où les structures
de diffusion d’une telle musique sont moins développées. Je pense
tout de même que le distributeur (Discordia, qui depuis a fait faillite)
n’a pas fait tous les efforts de promotion qu’il aurait pu se permettre (ce
qui est compréhensible étant donné le nombre de disques
dont il avait la charge), mais cela ne m’a pas empêché de recevoir
un bon accueil, et de faire un grand nombre de rencontres enrichissantes.

Y
a-t-il d’autres formes de création (littérature, peinture, cinéma…)
qui influencent ton travail ? Tu interprètes un texte de Georg Trakl
(Grodek),: t’intéresses-tu particulièrement à l’expressionnisme
allemand ?

Mis
à part la musique, que je placerai peut-être au-dessus de tout,
je me passionne également pour d’autres disciplines artistiques, dont
je fais une « consommation » plutôt frénétique
: le cinéma, la peinture, la littérature… ces trois domaines
me tiennent tout autant à coeur, et ont certainement exercé une
influence – indirecte, et donc difficile à délimiter précisément
– sur mon évolution, en particulier musicale. Je t’épargnerai
le catalogue de mes goûts en matière de cinéma ou d’arts
plastiques, car cela deviendrait vite fastidieux – et un numéro de TRINITY
n’y suffirait sans doute pas !

En
ce qui concerne plus particulièrement la littérature, elle est
naturellement une part importante de ma vie. Je suis un assez gros lecteur –
assez éclectique aussi, puisque je peux apprécier aussi bien un
roman policier qu’un essai, même si mes choix tendent à se porter
spontanément vers le roman et la poésie. Il serait fastidieux
de dresser la liste de tous les écrivains que j’aime : la littérature
russe ou d’Europe de l’Est, américaine, française, sud-américaine,
des auteurs comme Proust, Modiano, Djian, Echenoz, Drieu la Rochelle, Pierre-Jean
Jouve, mais aussi Zola, Woolf, Dagerman, Martin Amis, James Ellroy… J’en oublie
énormément. Côté poésie, j’aime en particulier
les romantiques anglais (Shelley, Keats), les Français liés au
Symbolisme (Baudelaire, Verlaine, Laforgue, Mallarmé, Verhaeren, Nerval)
et les expressionnistes allemands, en particulier Georg Trakl. J’ai découvert
cette poésie – fort méconnue en France, et peu traduite – un peu
par hasard, en parcourant un catalogue d’exposition, et j’ai été
fasciné par l’univers qu’elle dépeint et la manière dont
elle le fait. Je suis au départ très passionné par la période
des trente premières années de ce siècle, par les avant-gardes
qui s’y sont développées dans toutes les disciplines, et en particulier
l’Expressionnisme ; le début du monde urbain et industriel, la transformation
des paysages et des mentalités… La poésie expressionniste parle
de toutes ces choses avec une violence et une force d’évocation qui me
touchent profondément, j’y retrouve des échos extrêmement
intimes. En outre, la plupart des poètes expressionnistes (Heym, Trakl,
Stadler, Goll, ou encore Benn) ont eu des destins tellement tragiques !… La
personnalité de Georg Trakl est tout à fait fascinante, et j’ai
essayé de lui rendre hommage sur mon album en reprenant le texte du poème
Grodek, le dernier qu’il ait écrit avant de se suicider, peu après
la bataille du même nom… Si cela a pu donner à certains l’envie
de découvrir davantage son travail, alors j’ai atteint mon but.

La
littérature occupe une place d’autant plus essentielle que je m’efforce
de ne pas être simplement lecteur : l’écriture est un moyen d’expression
que je compte continuer à explorer, qui m’est aussi « naturel »
que la musique. J’ai écrit plusieurs poèmes, commencé un
recueil de nouvelles, et c’est quelque chose que j’aimerais vraiment poursuivre,
même si je trouve l’écriture incroyablement difficile : cela requiert
une énorme discipline et un gros investissement en termes de temps et
d’énergie… En ce moment, j’éprouve quelques difficultés
avec les textes de chanson : j’hésite à abandonner l’anglais –
que j’adore, mais qui est quand même souvent une solution de facilité
– pour le français, j’ai du mal avec cette forme courte – alors que j’y
arrivais il y a quelques années… Je possède une foule de vieux
textes dont peu seulement méritent d’être sauvés, mais j’ai
du mal à en écrire de nouveaux. Bref, je me pose pas mal de questions
!

La
nature est omniprésente dans l’univers de THAT SUMMER, à maintes
reprises apparaissent des échos aux atmosphères qui hantent les
oeuvres de Julien Gracq. Que représente-t-elle pour toi ?

Question
difficile – en tout cas, merci pour la référence !… Il est clair
que la nature est l’une de mes principales sources de fascination, et donc d’inspiration.
A l’inverse, je suis également très attiré par les paysages
typiquement urbains : les usines, les bâtiments désaffectés,
etc., comme en atteste par exemple la photo intérieure du livret du CD
– et, à cet égard, mes trois ans passés en ex-Allemagne
de l’Est m’ont particulièrement gâté ! Pour revenir à
la nature, je dirais que c’est en fait la Beauté, et la mélancolie
qui s’y rattache fatalement, qui est à la source de mon inspiration.
Et c’est vrai qu’elle jalonne « DROWSINESS OF ANCIENT GARDENS »
– qui devait au départ s’appeler Sadness of Beauty, titre que
j’ai finalement jugé par trop prétentieux et programmatique…
Je pense que la vie se résume en partie à la quête d’instants
de fascination, d’éternité pure, que j’appellerai la « beauté »,
et la nature est l’une des sources les plus fécondes de ce genre de sentiments.
Un arbre, une lumière, un parfum, les couleurs d’un ciel provoquent chez
moi parfois des réactions aussi fulgurantes qu’intimes : il s’agit d’une
espèce d’union de tous les sens, le fait de se sentir totalement en phase
avec l’instant que l’on est en train de vivre… Mais des paysages urbains,
des rencontres ou des moments passés en compagnie d’amis savent aussi
générer ce genre d’impressions… Et c’est du caractère
éphémère de ces impressions, de l’incapacité à
les faire durer et à les fixer pour l’éternité autrement
que dans la mémoire, que naît la mélancolie. Je conviens
que ce n’est pas très original – voilà après tout l’un
des moteurs essentiels de toute création artistique, et il s’agit de
sentiments que tout le monde éprouve -, mais dans mon cas, cette mélancolie,
couplée avec cette capacité à se laisser aller, se laisser
glisser dans le moment présent que j’ai appris à développer,
est particulièrement vitale. Par la musique, j’essaie de traduire ces
émotions, la musique contribue à les fixer et en même temps
à les faire partager… – Il m’est difficile de m’exprimer clairement,
sans prétention et sans naïveté sur un sujet à la
fois aussi banal et aussi personnel… Pour moi, la nature serait donc l’une
des sources privilégiées de ces instants de pur bonheur à
la recherche desquels nous sommes tous plus ou moins. Certains disques (et c’est
la même chose avec les livres, comme l’a si admirablement montré
Proust) sont ainsi liés pour moi à des moments bien précis,
que leur écoute me permet de faire resurgir. L’idéal serait naturellement
que « DROWSINESS OF ANCIENT GARDENS » ait pu susciter
chez quelques personnes des sentiments comparables, aussi forts – ait pu actualiser
cette « somnolence d’anciens jardins »… Mais encore
une fois, il est difficile d’exprimer de telles choses sans tomber dans le cliché
– de là notamment la difficulté que j’éprouve souvent à
écrire des textes.

Quels
sont tes projets pour THAT SUMMER ?

Encore
une question difficile… Il m’est difficile de répondre avec précision.
Ce qui est certain, c’est que je voudrais donner une suite à « DROWSINESS… »
(qui date quand même d’il y a presque cinq ans !), et une suite
dont je sois cette fois vraiment satisfait, ce qui implique que je me laisse
du temps pour la réaliser. Or, le temps – comme l’argent, éternelle
illustration de ces contingences qui pèsent tellement sur l’existence
! – est une chose bien difficile à mobiliser, surtout quand on exerce
une activité à plein temps à côté. J’avoue
avoir parfois du mal à me prendre par la main et à m’installer
en studio. J’ai passé une dizaine de jours dans le studio d’un ami ingénieur
du son à Berlin, voilà près d’un an, et j’ai déjà
enregistré une poignée de morceaux pour un deuxième album
; je compte y retourner d’ici la fin de cette année. Mais j’aimerais
vraiment me laisser du temps pour parachever ce travail – qui sera, c’est chose
sûre, très différent du premier album, puisque rien que
la manière dont je procède pour enregistrer est déjà
radicalement nouvelle. Même s’il y a naturellement des constantes (mélodiques,
thématiques, etc.) dont je ne saurais me défaire, ce disque devrait
être à la fois plus électronique et moins minimal, et intégrer
toutes les découvertes que j’ai pu faire ces dernières années
en matière musicale… Rien de gothique ou de « dark »
en tout les cas ! Je me mettrai aussi probablement en quête d’un label
pour me permettre de toucher une plus grande audience, Adiaphora restant une
petite structure dans le cadre de laquelle nous nous faisons surtout plaisir…

Concrètement,
je vais très prochainement me rendre en studio pour y enregistrer deux
nouveaux morceaux devant figurer sur des compilation : l’un éventuellement
destiné à un CD publié par le fanzine français Cynfeirdd,
et l’autre, donc, pour Tony Wakeford… Mais à l’heure qu’il est, j’ignore
encore totalement comment sonneront ces deux titres. Mais dans la vie, il est
aussi important de savoir attendre que de savoir agir !


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