Il fut un temps où les écrits sur le rock étaient denrée rare, encore plus lorsqu’il s’agissait de musiques alternatives et indépendantes. Mais, depuis quelques années, on assiste au contraire à une recrudescence de livres originaux ou traduits qui revisitent des pans entiers de l’histoire musicale et lorsque le sujet touche à un sujet aussi « mythique » que Joy Division la liste d’ouvrages disponibles devient vertigineuse.
On s’interroge alors toujours sur la pertinence d’un enième livre sur le groupe. Passée cette réserve initiale, la découverte de l’objet en question « Joy Division – Sessions 1977-1981 » de Pierre-Frédéric Charpentier éteint très vite toute crainte. En effet, la forme du livre est réellement singulière, l’auteur choisissant d’aborder le groupe en accompagnant chronologiquement chacun des enregistrements studio, ces fameuses sessions comme le sous-titre l’indique. Le lecteur se voit donc entraîné de semaine en semaine, de mois en mois à travers l’aventure si courte et intense du quatuor.
L’auteur scrute dans ces replis intimes et ces phases de questionnement parfois esthétiques, parfois existentiels, un groupe en mutation accélérée du punk rugueux des premiers pas aux ultimes spasmes sonores allant vers des champs glacés et synthétiques, en passant par la relation « attraction-désastre » avec Martin Hannett qui offrira au groupe un son qu’il n’envisageait pas, mais qui deviendra son identité.
Dans ce livre, la musique est au centre, le son est le noyau, une musique portée par des individus qui sortent transformés par une alchimie étrange reposant sur des personnalités antagonistes, de l’amitié, des conflits et de profonds traumatismes. De cette énergie de groupe naîtra une des musiques les plus troublantes et fondatrices de l’after-punk et des disques parmi les plus fondamentaux de l’histoire du rock.
Au fil de la lecture, comme souvent dans les très bons livres sur la musique on est happé et saisi de l’envie de remettre les disques sur la platine, d’explorer toutes les nuances et détails décryptés par l’oreille d’entomologiste de Pierre-Frédéric Charpentier. L’analyse souvent judicieuse de l’évolution des titres session après session, le recours à des extraits des paroles de Ian Curtis est parfaitement dosé et souligne la plongée et les spasmes de l’auteur-chanteur aux prises avec la dépression.
L’autre grande force de cet ouvrage est son choix marqué de ne jamais verser dans le marécage de la « petite histoire » et du faits divers, en restant concentré sur la musique, l’art qui, à eux seuls, dressent un portrait poignant et terrassant de Joy Division.
On ressort de cette lecture troublé et envoûté, le livre réussissant à faire partager de l’intérieur l’histoire de quatre jeunes mancuniens à la trajectoire entre « Licht und Blindheit » (lumières et ténèbres) pour reprendre le titre du disque paru sur Sordide Sentimental en 1980.
Le suicide de Ian Curtis, le trio orphelin, passablement perdu, devenu No Names puis New Order, conjurant les graffitis I.C.A. (Ian Curtis Alive) sur les murs de la ville en composant le titre I.C.B. (Ian Curtis Buried). La musique comme deuil et renaissance. L’auteur explore les liens entre les deux périodes, exposant finalement l’évidente continuité. La partie consacrée à l’après Joy Division est à ce titre passionnante et foisonne de détails qui nous font porter un regard différent sur le sujet.
Une ultime partie « Appendices » sera une source d’informations notable même pour les plus férus du groupe, on y évoque les chansons perdues, inédites, indisponibles et quelques bizarreries.
Au final ce livre est incontournable pour les amateurs de Joy Division, même ceux qui pensent avoir totalement épuisé le sujet seront surpris tant par la structure que par le contenu. Sans oublier une qualité d’écriture rare, une langue au cordeau, sobre et précise, jamais baroque ou outrancière. Une lecture plus que recommandée !
Stanislas Chapel
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