Groupe : Gaë Bolg and the Church of Fand
Album : Tintagel
Date : 2003-03-01
Label : Le Cluricaun
Distributeur :
Format : ltd LP/CD
Durée :

Bien
qu’évoluant dans le sillage du charismatique Tony Wakeford, au service
duquel il oeuvre assidûment depuis bientôt sept ans à l’enluminement
sonore de SOL INVICTUS et plus encore du collatéral ORCHESTRE NOIR –
au sein duquel il semble détenir les pleins pouvoirs -, Eric Roger peut
se féliciter de s’être aisément affranchi de cet auguste
compagnonnage musical; délivrant par l’entremise de GAË BOLG &
THE CHURCH OF FAND, une musique indemne de toute servitude ou obédience
idolâtres; interdisant jusqu’au plus lointain recoupement avec le sombre
chansonneur – constante du reste assez remarquable chez la plupart des intervenants
de la « périphérie du soleil », menant parallèlement
de front un projet personnel, à commencer par Matt Howden et la talentueuse
Sally Doherty -. Dérisoirement pressé à quelques centaines
d’exemplaires et qui plus est, sous une forme méritoirement mais exclusivement
vinylique, le deuxième album de GAË BOLG, se condamne pour ainsi
dire à ne ratisser qu’une très faible audience; attendu que ces
critères réunis, consacrent d’ordinaire l’objet-collector. Restriction
d’autant plus regrettable, au vu de la précellence du dit objet… Expression
d’une feinte et mensongère ingénuité, le prélude
ourlé de ces diamantines clochettes semeuses de féerie, introduit
on ne peut plus angéliquement l’album, qu’il clôturera du reste
à l’identique; contribuant ce faisant à souligner la circularité
de la boucle, mais plus encore à abuser l’auditeur, quant aux véritables
et peu recommandables intentions de ce roué Gaë Bolg, expert en
chattemiterie. Procédé du reste initialement institué avec
le premier-né: « JOHN BARLEYCORM MUST DIE », pour lequel un sommeillant
prologue se proposait de semblablement désorienter. De fait, le ton bien
vite, se durcit. Dès le second titre – le décompte des morceaux
demeurant le seul repérage possible, face à des pièces
vierges de noms -, Gaë Bolg et sa paroisse itinérante entrent en
campagne, à la conquête de terres nouvelles à barbarement
évangéliser. Déjà, hallebardes, canons et catapultes
se hérissent en pointes menaçantes, tandis que le roulement impérieux
du tambour, en ouvre avec grand pompe l’épopée prosélyte.
Retentira sur des lieux à la ronde, la harangue sermonneuse du faux prélat,
répandant alentour un souffle belliqueux et non moins héroï-comique…
Bien qu’elle fasse office de halte reposante au regard du vacarme ambiant, la
courte complainte servie par un choeur virginal d’enfançons apeurés,
ne fait qu’ajouter au climat de morbidité sous-jacent, perçant
avec

insistance
sous la gaillardise affichée; qu’amplifie encore la solennité
de l’orgue abbatial. L’ombre funeste de Gilles de Rais n’est jamais très
loin et par cette intercalation incongrue, le croque-mitaine Bolg laisse présager,
quelle brutale défloration il entend infliger à la pudicité,
ainsi que nombre d’ignominieux sévices, qu’il se délectera d’administrer
longuement à chacune de ses tremblantes et implorantes victimes. Avant-goût
préparatoire à l’enchaînement des fredaines à venir,
guère plus explicite à la lumière des textes… Diablement
entêtant, le morceau-phare déclarant ouvertes les hostilités
de seconde partie d’album, semble décrire selon un imparable crescendo,
l’alarmante infestation d’une forêt ou de tout autre lieu naturellement
enténébré, par une horde chasseresse d’ogres affamés
et luxurieux;

poursuivant
des plus profanatrices assiduités, une enfant égarée, aux
abois. Tandis que de prime abord, la trame musicale revêt des allures
de ritournelle fallacieusement enjouée, visant en vérité
à amadouer et ensorceler l’infortunée enfant, cors brumeux et
trompettes guerrières sonnent l’assaut, scandant de leurs accents barbares,
les rapides avancées de l’écumante battue, galvanisée à
dessein. La mêlée, signifiée par le décuplement progressif
des voix, débouche vers la fin sur une espèce de sabbat criard,
tant loufoque que forcené; où braillements et sévères
injonctions se combinent fantasquement, sur fond de curée. Répartis
en macabre triptyque, stupre, sang et dévoration s’accomplissent rituellement,
sous l’oeil concupiscent de notre superbement canaille, maître de cérémonie.
Nullement en reste dans l’édification imaginaire de cette chasse à
la fillette, des bataillons entiers de timpanis offensifs, activent pour leur
part, une marche lourde et traînante, patibulaire et empesée; quoique
cycliquement traversée de martèlements saccadés, trahissant
à eux seuls, l’affolement général des pouls. Des cornes
de brume aux glapissements rageurs, des agglutinations de corps pantelants aux
scènes de frénésie lubrique, tout concourt à nous
projeter de plain-pied dans quelques-uns des infernaux séjours dépeints
par Bosch, Bruegel Le Vieux et Grunewald; où de part et d’autre, s’étale
triomphalement le crime, se prélassent impunément l’encanaillement
et le vice – affublés cela va sans dire, des plus hideuses physionomies
qu’il ait été donné de portraire -; avant que n’éclate
l’ire divine, prête à frapper et s’abattre sans merci sur les impénitents
pécheurs, sitôt lâchés en pâture aux légions
du Très-bas. Et bien qu’assurément, l’église de Fand ne
professe aucune croyance en une hypothétique comparution dernière
et se défende railleusement de tout manichéisme primaire, la noire
exubérance de sa grand-messe, tend irrésistiblement à nous
représenter une gigantesque géhenne, semée de torturantes
ordalies. C’est dire la toute puissante propension de cette musique à
accoucher d’images… auquel le choix avisé de ses sonorités n’est
certes pas étranger. Sonorités affiliées pour l’immense
majorité, au nasillard ronflement des cuivres et qui, à défaut
de trompes, bombardes et cornets, y célèbrent la trompette sous
toutes ses formes. L’excellence avec laquelle Eric Roger dirige et fait usage
de cette imposante artillerie de cuivres, en transfigure idéalement les
sonorités réputées

ingrates,
n’ayant dès lors plus rien de comparable avec ce concert de barrissements
pachydermiques, symptomatique de la fanfare; auquel notre oreille a pu les associer.
Orfèvre en la matière, il n?a pas son pareil pour les intégrer
à un genre musical renâclant d’ordinaire à l’annexion jugée
contre-nature des seules trompettes et dont les stridents greffons impriment
un son identifiable entre tous; garant d’une singularité de style. A
titre de comparaison; GAË BOLG serait à la trompette, ce que GOR
est à la clarinette. Outre cette débauche de cuivres, l’épicurisme
débridé, seul credo prêché d’autorité par
l’ordre de Fand et auquel brûle de se soumettre tout féal suppôt,
se traduit sur le plan musical par une partition de contrepoints archaïsants,
à consonance peu ou prou médiévale, à rapprocher
des chansons de geste; quand elle ne vire pas à une tonitruante cacophonie,
d’essence vaguement industrielle. Le tout, pour étrange que cela puisse
paraître, n’en demeurant pas moins rigoureusement ordonnancé. Mais
disserter sur la congrégation de Fand implique de s’arrêter, ne
serait-ce que succinctement, sur les prouesses peu banales de son ventripotent
chantre et ordinateur. Pourvu d’un organe de contre-ténor, ample et moelleux
à faire pâlir d’envie Dominique Visse du renommé ensemble
CLEMENT JANEQUIN, il domine puissamment de ses inflexions grégoriennes
un rien sifflantes, chacune des huit ou neuf compositions. De fortes présomptions
inclinent d’ailleurs à penser que le ministre du culte fandien a pu prendre
connaissance de certaines de leurs productions: de la « FRICASSEE PARISIENNE »,
en passant par « UNE FETE CHEZ RABELAIS »; tant diction et tessiture
lui sont voisines. De ci, de là, quelques pointes de goguenardise auto-parodique,
libre et mordante parsèment ceux des textes intelligibles, que le brouhaha
et les trémolos de la voix ne recouvrent pas totalement – d’autant que
les dialectes usités balancent irrésolument entre latin baragouin,
manière de vieux français et occitan, langue attitrée de
nos troubadours -. Un titre en particulier, s’enhardit à méchamment
pervertir la catégorie tenue pour inattaquable de la comptine enfantine,
substituant à la nargue puérile et au bénin cabotinage,
une rengaine gouailleuse et grognarde, férocement imprécatoire;
que l’on croirait tout droit expulsée des gorges croassantes d’une chorale
de gnomes. Mais cette tendance se fait rare, car pour l’essentiel, nous sommes
loin ici des turlupinades et autres calembredaines dont nous gratifie coutumièrement
Gaë Bolg, en sa condition d’émissaire de l’église de Fand;
lorsqu’il se prend à facétieusement catéchiser, par saillies
journalistiques interposées. Preuve en est que causticité bien
tempérée et beauté peuvent élégamment s’accorder
et s’accommoder l’une, l’autre. De là, découle au demeurant, le
traître paradoxe autour duquel se fonde la profession de foi de monseigneur
Bolg et de son fantaisiste sacerdoce: une truculence de façade grossièrement
appuyée, intronisant rabelaisienne paillardise et leste friponnerie,
que dispense éloquemment l’iconographie des quelques jaquettes et inserts
– recettes du terroir et calembours à l’appui -; invalidée en
dernier lieu par la noblesse et la grandeur quasi mystiques de son contrepoids
musical, exempt pour sa part, d’accès de bouffonne cocasserie. Et bien
que vraisemblablement proéminent, le profane ici ne l’emporte pas tout
à fait: il ploie sous les instances répétées d’une
impulsion sacrée, désireuse de s’immiscer et l’anoblir – le dernier
titre n’en livre rien de moins que la flagrante démonstration -. Nouveauté,
que cette percée décisive instaurée par « TINTAGEL »
et à laquelle demeura sourd son prédécesseur. En comparaison,
le premier album inégalement inspiré, quoique non dénué
d’attraits loin s’en faut, fait figure de pâle exercice de style, scolairement
empêtré dans une monocorde et dictatoriale martialité; tant,
l’opulent « TINTAGEL » s’illustre par sa diversité même
et son éblouissante maîtrise. Autrefois pondéreux soubassement
au delà duquel tout s’étageait disciplinairement, le par trop
envahissant appareil percussif modère ici son ingérence, renonçant
à systématiquement réglementer la structure des morceaux;
qui de monolithique, en ressort significativement aérée… Au
terme de moult débordements et bachiques sarabandes, le titre final à
la facture pseudo liturgique, nous transporte solennellement à l’office,
sur les sentiers rédempteurs de l’élévation; tandis qu’entre
deux prières, nous parvient le ramage matutinal du rossignol et du coucou;
que s’ingénie à recréer un couple de flûtes à
bec tendrement enlacées. Notre tapageuse croisade s’achève donc
aux portes de la basilique de Fand, où s’engouffrent poussivement des
processions entières de moines écarlates et défroqués,
point encore dégrisés des orgiaques excès de la veille;
mais que l’attrition du moins, engage à faire diligemment pénitence.
Le tout, au son de cantiques noyés dans une cataracte de réprobatrices
cloches… Hélas, force est de reconnaître qu’au sortir de ces
pantagruéliques agapes musicales, nos sens en éveil, toujours
plus affolés par la sapidité lourde et capiteuse à laquelle
les accoutumèrent ces mets sacrilèges, quittent à regret
la tablée de l’intempérant sieur Roger, en compagnie duquel nous
nous serions plus à banqueter davantage à satiété;
l’album on le déplore, plafonnant en dépit de sa pleine maturité
artistique, à une famélique trentaine de minutes – tout en se
payant au surplus, l’opportunisme de repêcher à son avantage, un
morceau concédé naguère à la compilation « EISTEDDFOD »
et connu sous le titre inaugural de Gloria -. Aussi, à dessein
d’y pallier et de prolonger à loisir les libertines festivités
auxquelles nous fûmes si discourtoisement arrachés, nous reste-t-il
le remède de raccorder bout à bout, les quelques titres disséminés
au gré de la trilogie décroissante « ORAN MOR »; explorant
concentriquement tous les formats vinyliques imaginables et recelant il est
vrai, d’authentiques trésors. Aux dernières nouvelles, le label
WORLD SERPENT que l’on ne présente plus en sa qualité de défricheur-né,
envisagerait très officiellement d’accueillir en son rang, le prédicateur
Bolg pour la parution d’un nouveau livre de messe, occultement intitulé
« LA BALLADE DE L’ANKOU » (ndlr: finalement c’est DYSPHORIE qui l’éditera).
Heureuse initiative, à la condition que lui succède dans la foulée,
une réédition CD de « TINTAGEL »…


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