Peux-tu
nous parler de ton passé musical ? D’autres formations ?

Julien
Ash : Mon père était organiste, et ses improvisations au piano
ont rythmé mon enfance. Plus tard, j’ai découvert les premiers
groupes progressifs britanniques et allemands : ce fut pour moi une révélation.
Puis vinrent CHROME, NURSE WITH WOUND, LEGENDARY PINK DOTS, CURRENT 93, …Ceci
me permit de côtoyer des personnes ayant les mêmes goûts musicaux.
Ma rencontre avec Angustère aboutit à la fondation de NLC en Juillet
1989. J’ai également participé à un album de LEITMOTIV,
et été membre de deux autres formations : MAELSTRøM et
TRISTE NUIT POUR. Ces deux dernières ont chacune réalisé
une cassette et divers titres parus sur des compilations (tendance atmosphérique
et indus bruitiste).

Quelle
a été ton éducation musicale ? (Apprentissage, écoute
de quels types de musiques ou groupes…)

Mon
professeur de musique a été mon père. Il ne s’est bien
sûr pas montré assez sévère (ou étais-je trop
indiscipliné), ce qui fait que je suis resté un piètre
instrumentiste. Je pensais à l’époque que la technique et le travail
étaient des barrières, des freins à la liberté et
aboutissaient à une uniformisation des interprétations… En fait,
c’était surtout de la paresse, et je me suis rapidement aperçu
que plus on a acquis de maîtrise technique, plus on a de liberté…
Et c’est pour masquer mes lacunes que j’utilise l’outil informatique. Ceci dit,
ma façon d’utiliser les ordinateurs, les échantillonneurs et le
MIDI feraient hurler bien des puristes…Je suis et me revendique comme étant
un « bricoleur » !

Mes
groupes favoris sont, outre ceux cités précédemment, COIL,
SKINNY PUPPY, SHINJUKU THIEF. J’écoute également beaucoup Schubert,
Paganini, Fauré, Bruch, Cherubini, Bashung, et pas mal de World Music…

Depuis
que tu oeuvres sous le nom de NLC, comment procèdes-tu pour composer
? Toujours seul ?

Non,
NLC était au départ un duo. Ceci dit, avec Angustère, nous
n’avons fait qu’un ou deux morceaux « ensemble », le reste
était composé séparément. Angustère avait
une approche de la composition encore moins technique que la mienne, complètement
intuitive et aléatoire, et même si je partageais ses théories,
il me fallait un minimum de rigueur pour travailler. Après son départ
fin 1990, j’ai fait un album solo, puis repris le groupe tout seul, puis collaboré
avec F. Bailly, un musicien de spectacles. Ce fut une véritable catalyse,
et nous avons pas mal produit en très peu de temps (quelques demi-journées !
Le temps est toujours ce qui me manque le plus…). J’ai ensuite repris des
séances d’improvisation avec Angustère, P. Bur et C. Batt (deux
personnes issues de la scène techno). Nous avons enregistré tous
nos délires sur des kilomètres de bandes, que j’utilise encore
aujourd’hui. Certains passages ont donné des morceaux sans subir de transformations,
notamment dans « CLEAN » et « UNCLEAN ».
J’ai encore collaboré avec F. Truong de LEITMOTIV, Olga Zimovets, une
cantatrice de St Petersbourg, C. Heemann de H.N.A.S., etc… Actuellement, je
travaille sur un projet de longue haleine avec Philippe, l’ingénieur
du son en charge du prémastering de mes derniers CDs. Nous avons débauché
de nombreux instrumentistes, et nous enregistrons en studio, presque comme un
groupe normal…

Et
la voix dans « tout ça » ?

Notre
chanteur est muet… Trêve de plaisanteries, j’ai travaillé une
seule fois avec une chanteuse (Olga), et… les réactions étaient
partagées. Je sais, le chant lyrique n’est pas toujours évident
à encaisser… Mais ce fut une expérience passionnante bien que
non encore renouvelée. Le projet actuel comprend un chant masculin et
un chant féminin, assez proche de la variété . Mais il
m’est souvent, c’est vrai, arrivé de regretter de ne savoir chanter.
C’est d’ailleurs pour cela que j’utilise souvent des voix off, intervenant de
façon souvent imprévue… même pour moi .

Pourrais-tu
expliquer le contraste entre tes tendances expérimentales funèbres
et le néoclassicisme lumineux, formes qui se succèdent au gré
de tes albums. Y a-t-il deux Julien Ash ?

Je
reprendrais les paroles de bien d’autres groupes pour dire qu’en musique il
y a des expériences sonores que l’on vit, mais que l’oeuvre une fois
fixée sur support est plus ou moins approuvée par son ou ses auteurs,
et qu’il n’y a là aucune expérimentation, simplement des gens
qui ont fait une chose qu’ils jugent intéressante, et qu’ils savent ce
qu’ils font en la commercialisant. D’autre part, je ne suis pas sûr que
le contraste soit si marqué entre les deux tendances, et j’aimerais tendre
vers une symbiose. On pourrait parfois taxer de funèbre mon néoclassicisme,
et vice-versa.

Je
pense que le choix d’un pseudonyme n’est pas le fruit du hasard. Il y a certainement
plus d’un Julien Ash, et ce thème de la dissociation se retrouve tout
au long de l’histoire de NLC. L’emploi de sigles pour le groupe et le label,
la séparation très précoce du duo d’origine (qui ne travaillait
jamais ensemble), le besoin de fonder d’autres formations (MAELSTRøM
et TRISTE NUIT POUR) dont le personnel était identique à NLC,
tout ceci est déjà fortement évocateur…Viennent ensuite
les titres des oeuvres : « Schizolithe » (monolithe schizophrène),
« Patchwork Mystique pour Rituel Héboïdophrénique »
(sous-titre d’ « UNCLEAN »), les titres à
tiroirs (série des « Ethan », « Catatonie »,
visions de Kha…) et les oeuvres elles-mêmes, bi , tri-, ou même
pentafides : les jumeaux CLEAN/UNCLEAN, la trilogie OIKEMA, la pentalogie du
LIEU NOIR… Enfin, les concepts développés dans les premiers
disques gravitaient souvent autour d’un personnage nommé Kha, en référence
au Ka égyptien : entité comparable à l’âme, constituant
la véritable personnalité, qui se débarrasse de l’enveloppe
charnelle après la mort. J’ai rajouté un H, qui de par sa géométrie
et sa transparence phonétique, accentue symboliquement cette dissociation.
Tout ceci pour dire que la schizophrénie n’est pour moi que la bascule
pathologique d’un processus physiologique qui est la perception, ou l’approche
de la perception de la multi-dimensionnalité de son être. Toute
personne qui conteste cette théorie est priée de me fournir les
preuves irréfutables comme quoi que j’aurais faux, et avé les
photos SVP. Envoyer le dossier à l’Ecole Des Torturés. Merci.

La
force d’évocation de ta musique est très grande. Très souvent
elle fait écho à des univers littéraires (Carroll) ou cinématographiques
(Tarkovski, Bartas…).Les autres formes d’art sont-elles importantes pour toi
?

Bien
sûr. J’admire beaucoup les artistes « complets » comme Greenaway
qui maîtrisent l’écriture, les mathématiques, l’image…
Et la musique est certainement, comme se plaisaient à le dire Dali et
plus récemment Gainsbourg, un art mineur. Mais je reste assez rétrograde
dans mes idées sur l’art, à savoir que je m’oppose avec force
à la tendance actuelle d’associer systématiquement le son à
l’image, puis de mettre du relief dans ceux-ci, d’animer encore le tout etc…
pour en mettre « plein les sens » en essayant de créer
un spectacle « total » finalement superficiel. Je ne suis
personnellement pas capable d’écouter et de regarder en même temps…
Cela fait toujours hurler quand je dis cela, mais la seule contemplation exige
le silence. Alors quand on me demande pourquoi je n’ai jamais fait de musique
de film, je réponds que c’est pourtant ce que je fais, mais sans le film…
L’évocation est une force plus importante que la démonstration
appuyée, l’explication ou l’illustration qui sont autant de restrictions,
de barrières aux désirs de notre imagination. Ceci dit, il y a
des exceptions, et là je suis très admiratif ..

Que
signifie N.L.C. ? Comment doit-on entendre E.D.T. : Encyclopédie des
Ténèbres ?

N.L.C.
signifie « Nouvelles Lectures Cosmopolites », nom inspiré
d’une société de construction, qui nous a paru si lourd et si
stupide que nous l’avons de suite adopté. A cette époque, il est
vrai que nous vendions aussi des cassettes dans des boîtiers en béton
armé de deux kilos chacun… Les initiales sont une référence
à un lieu de concerts aux Pays-Bas, le N.L. Centrum. E.D.T. signifiait
effectivement ce que tu suggères, en référence aux « Leçons
de Ténèbres », mais récemment le sigle a trouvé
une signification bien plus évocatrice avec « l’Empreinte
du Tyrannosaure », en attendant d’autres interprétations.
Nous sommes conscients qu’il nous serait préférable d’en éviter
certaines, telles « Espèce de Taré », ou
d’autres que je préfère ne pas nommer.

Quelles
sont les réactions face à ton travail à l’étranger,
en France ?

Tu
ne regardes pas les journaux télévisés ? Plus sérieusement,
force m’est de constater que certains proverbes doivent avoir des fondements
réalistes : 80 % de mes disques sont vendus à l’export :
Asie, U.S.A., Italie, Allemagne, Belgique, Mexique…Le problème de la
distribution en France est très aigu… J’espère que le net pourra
suppléer une partie de ces lacunes (le site EDT devrait être prêt
pour la parution de ce numéro… notre e-mail est : « julien.ash~wanadoo.fr »).
Cette réflexion faite, je dois dire aussi que les lettres que je reçois
proviennent pour moitié de France. Elles sont toutes enthousiastes, mais
je ne vois pas pourquoi les gens qui trouvent ma musique sans intérêt
perdraient leur temps à me l’écrire… D’autre part, la difficulté
d’accéder à la découverte de mes disques fait que ce sont
forcément les gens les plus motivés qui les achètent…
Ceci dit, il y a toujours des exceptions… En 1990, je me souviens avoir signé
un autographe dans un hôtel bordelais car la gérante avait acheté
« LOST SAND DIVINITIES » pour la peinture sérigraphiée
sur le CD ! Le résultat de ce schéma de distribution est
que je suis toujours aussi souterrain, mais je me plais dans mes retranchements
car je n’ai aucun impératif commercial ou financier, et donc aucune concession
à faire puisque je ne vis pas de ma musique…

Ta
musique semble totalement libérée des contraintes, en état
d’apesanteur. Derrière cette liberté, y a-t-il une conceptualisation
ou une volonté de symbolisme musical ?

Je
ne fais qu’utiliser les sons que je juge beaux ou intéressants. Mon travail
est avant tout intuitif, et le concept est construit… après! Je suis
en fait un véritable faussaire : je fais quelque chose, puis je me place
en spectateur/auditeur et je me demande ce que j’ai bien voulu exprimer… Quand
je crois comprendre, je rajoute des indices (sous forme de sons ou de voix ou
de titres évocateurs), comme si tout avait été intelligemment
prémédité… Voilà ma façon de travailler,
et c’est la seule qui me convienne, car dès que je m’impose des règles
de travail strictes, je n’ai plus aucune motivation. En fait, je dois être
très paresseux .

Te
sens-tu proche d’une mouvance ou d’une scène (dark-ambient…) ou de
labels comme EXTREME, AMPLEXUS, DOROBO… ?

Je
ne me sens pas proche de ces scènes car je travaille seul dans mon coin,
chez moi, et parfois avec des amis… Je ne me sens ni musicien, ni torturé,
ni porteur d’un quelconque message. Par contre, je m’amuse et c’est tout ce
qui compte. Ceci dit, je respecte et apprécie le travail de ces labels…
mais ne m’identifie à personne.

Quels
sont tes projets ?
 

Un
CD pour début mai « ASD002 : THE CEREAL KILLER »,
un autre pour l’an prochain avec les musiciens acoustiques, et une surprise
pour l’été 99 (les dix ans de NLC!). Continuer à faire
de la musique, et prendre un jour des vacances.

Envisages-tu
des concerts, spectacles ?

Non.
Trop de travail et pas de temps…


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