Claude LECOUTEUX, professeur de littérature et civilisation germanique du Moyen Age à l’Université de Paris IV-Sorbonne est connu pour ses nombreux travaux sur les légendes et les croyances du monde médiéval, dont il est devenu le spécialiste au fur et à mesure de ses publications. Ses nombreux ouvrages comme : « Fantômes et Revenants au Moyen-Age », « Les Nains et les Elfes au Moyen-Age », « Fées, Sorcières et Loups-Garous au Moyen-Age » (1), nous font part de l’avancée de ses recherches, et sont toujours pour l’amateur de mythologie populaire un envoûtant régal.
Son dernier ouvrage, paru aux Editions IMAGO, « Chasses fantastiques et cohortes de la nuit », traite des hantises et des peurs de l’homme médiéval, liées au mythe de la Chasse Infernale. Ce livre marque l’aboutissement de son enquête sur la mort ou l’outre-monde de cette époque. Par les nuits d’hivers, on entendait et l’on voyait parfois, dans les airs ou sur la terre, passer une troupe inconnue, effrayante et mystérieuse. Surgissait alors, un étrange cortège funèbre formé de cavaliers squelettiques, ensanglantés, qui avaient à leur tête un mystérieux meneur. Cette légende d’une cohorte de damnés, qui a inspiré au cours des siècles de nombreux écrivains, peintres ou poètes, est connue sous le terme de Chasse Infernale.
L’origine de cette légende se perd dans la nuit des temps, et il apparaît que ce mythe était profondément enraciné dans les mentalités des peuples européens, plus particulièrement ceux de la partie septentrionale du continent. L’importance de cette croyance se mesure au fait qu’elle fondait la vie quotidienne des individus; en assurant une fonction sociale structurante, mais aussi en participant à la formation d’un système d’interprétation et de vision du monde. Ce mythe était si ancré dans l’imaginaire populaire que le christianisme ne put l’éradiquer totalement. A défaut de pouvoir l’ôter des esprits, la nouvelle foi dut l’intégrer. Elle le modifia et le modela de façon à le rendre conforme à ses propres conceptions théologiques. C’est pourquoi les récits de ce mythe que nous possédons sont un subtil entrelacs de paganisme et de christianisme. Mais l’ouvrage de Claude Lecouteux est maintenant là pour nous guider, en se proposant de nous dévoiler les multiples facettes de cette croyance, et en démêlant les aspects les plus obscurs.
Dans un premier temps, Claude LECOUTEUX fait un imposant inventaire en présentant les différentes cohortes nocturnes connues , car bien que « la chasse infernale soit toujours une troupe de morts dont le passage sur terre à certaines dates est accompagné de divers phénomènes » les autres éléments varient selon les récits et les lieux; comme la constitution de la troupe, l’apparence de ses membres, la présence ou l’absence d’animaux, le vacarme ou le silence, l’existence d’un meneur ou d’une meneuse, qui porte différents noms selon les régions… Puis l’auteur en étudie les différentes facettes et les origines possibles, avant de nous donner, en guise de conclusion, une explication qui voit essentiellement dans la Chasse Infernale un avatar de la chevauchée dans le ciel du dieu ODIN. Mais il émet aussi l’hypothétique souvenir d’une étrange confrérie secrète et initiatique.
Cette légende médiévale, à l’arrière plan mythique pré-chrétien, a survécu à travers le folklore, et n’était pas inconnue dans notre région de Normandie. En effet, elle est souvent mentionnée par des historiens comme Oderic VITAL (2) ou par des folkloristes comme Amélie BOSQUET(3), ce qui permet de penser que ce mythe était solidement répandu en terre normande. A la tête de cette troupe de guerriers morts vivants se trouvait un meneur dont les noms pouvaient être : ARTHUR, SAINT-EUSTACHE, CAIN, HELLEQUIN, ou encore tout simplement le diable. Mais il faut savoir que l’être originel et fondateur de ce mythe, qui se dissimule derrière ces différents noms, n’est autre que le dieu ODIN. En effet, les peuple de l’Europe du Nord pensaient entendre lors des nuits proches du solstice d’hiver, une chevauchée fantastique de guerriers morts en combattant, au galop endiablé. Cette troupe étrange et glorieuse, où les chevaux semblaient furieux avec leur naseaux écumeux, était menée par un chef nommé WOTAN par les Germains, ou ODIN, par les Scandinaves. ODIN était une divinité aux multiples facettes, puisqu’il était tour à tour dieu de la fonction aristocratique, de la fonction souveraine, ainsi que de la magie par sa connaissance sacré des runes. Il avait autour de lui des guerriers morts au combat, qui siégeaient à ses côtés après que ces valeureux eussent été conduits par les Walkyries. Au moment du Crépuscule des Dieux cette troupe mènera sous la conduite d’ODIN l’ultime combat contre les forces du chaos. Lors de leur établissement en Normandie, les Scandinaves importèrent ce mythe. En raison de son enracinement et de sa popularité au près du peuple rien ne put le supprimer, et il connut ainsi une lente évolution. Au moment de la disparition du paganisme, sous les assauts intolérants du christianisme, ce mythe se transforma. La nouvelle religion combattit les anciens mythes, qui furent relégués dans la démonologie. ODIN changea alors de nom. A la place du dieu et des guerriers morts on trouva des démons, des personnages légendaires ou historiques. On parla alors de Chasse Arthur, Chasse Hellequin, Chasse Galery, Chasse du Diable, Chasse Volante, et bien d’autres noms encore…Ces métamorphoses permirent à ce mythe de perdurer et d’atteindre l’époque contemporaine.
Ce détour par la Normandie est un argument supplémentaire pour lire cet ouvrage, qui a le mérite de nous transmettre un héritage que certains apôtres tentèrent d’éradiquer. Après avoir refermé ce livre, vous vous surprendrez peut-être à scruter durant vos insomnies le ciel normand. Un vieil érudit de l’histoire locale, me voyant étudier cette légende, me confia qu’une Cherbourgeoise lui soutenait avoir vu une cohorte infernale. C’était à la veille de la guerre de 1914…
(1) Tous ces ouvrages sont parus aux éditions Imago.
(2) Dans « Histoire de Normandie ».
(3) Dans « La Normandie Romanesque et Merveilleuse ». Actuellement disponible en reprint aux Editions Bertout.
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