Pour
ouvrir nos pages à CINDYTALK, nous enfreignons la règle de cette
rubrique en parlant d’un groupe qui aux dernières nouvelles existe
toujours, même si la périodicité de ses productions sème
régulièrement l’inquiétude chez ses adorateurs.

 

Qui
n’a pas senti sa peau vibrer sous les déchirures vocales de Gordon
Sharp ne pourra comprendre le ton de cette rétrospective. En effet, CINDYTALK
culmine, depuis près de quinze ans, dans la « mise à
 vif » des émotions, de la souffrance, de l’amour et
de la rage.

 

Personnalité
d’une sincérité, d’une volonté et d’une
violence irréductibles, Gordon Sharp porte le projet à la force
de son âme et de son cœur, entouré depuis les débuts
par un cercle d’amis allant et venant au gré des enregistrements.
De la mise en route de l’album « CAMOUFLAGE HEART »,
dès 1982 (pour le titre Everybody is christ) à la sortie
du dernier en date « WAPPINSCHAW » fin 1994, douze années
se seront écoulées et CINDYTALK n’aura produit que quatre
albums. Cette lenteur ahurissante et insoutenable se comprend à l’aune
du perfectionnisme et de la qualité des productions ; jamais un
détail ne vient amoindrir la force du propos, la profondeur des plaies
où la vérité des silences. L’écriture musicale
apparaît à la fois longuement mûrie et spontanément
expressive ; la temporalité d’un album semblant figurer les
instants hors du temps de moments d’exception, où les choses font
corps avec le temps ; une fusion brûlante entre la musique et l’âme.

 

-For
those who came and will come closer.-

 

Enregistré
de 1982 à 1984, « CAMOUFLAGE HEART » restera l’album
le plus abrasif, par sa forme musicale, des productions de CINDYTALK. Les morceaux
s’enchaînent froids, cinglants, lancinants, spasmodiques, ébréchés,
déchiquetés par la voix androgyne, tour à tour caressante
et scarificatrice de Gordon Sharp. De la surface aux tréfonds, ce disque
est une mise en musique de la souffrance ; il est d’une noirceur
à l’opacité insondable. Catharsis pour le groupe et pour
l’auditeur, ce disque met à nu et lave l’esprit ; alors
le cœur bat avec, à l’unisson.

 

Dans le même temps, Gordon se lie d’amitié avec les COCTEAU
TWINS et enregistre avec eux une John Peel session en janvier 1983 ; le
résultat est magnifique la voix de fantôme de Gordon s’emmêlant
à celle de sirène de Liz Fraser. Prolongeant cette expérience,
il collabore également au premier maxi de THIS MORTAL COIL, sur lequel
il accompagne Liz sur une reprise de MODERN ENGLISH (Sixteen days/Gathering
dust
).

Ivo Watts-Russell le patron de 4AD, l’invite alors à participer
au premier album de THIS MORTAL COIL « IT’LL END IN TEARS »
sur lequel il reprend ALEX CHILTON (Kangaroo), REMA-REMA (Fond affections)
et interprète A single wish, l’épilogue brumeux de
l’album. Confronté à des exigences extérieures, il
s’efforce de moduler sa voix, afin de chanter les mots des autres ;
l’exercice lui coûte énormément, ne faisant aucune
concession envers lui-même, collaborer avec THIS MORTAL COIL fut un calvaire.
Gordon confiera à un confrère : « Cela a été
une expérience terrifiante, aller en studio, utiliser ma voix comme un
instrument technique et ne pas ressentir la chanson, surtout pour Kangaroo.
J’ai été horrifié parce que c’était
un mensonge et ce mensonge m’a traumatisé… »

Telle une épitaphe, une dédicace à Liz Fraser sur « CAMOUFLAGE
HEART » clôt cette période de collaborations: « Elizabeth…
is there room in the rosary for three », la roseraie du titre Garlands,
où l’on meurt sans fin. En écho à ce message amoureux,
Liz offrira à Gordon un titre de « TREASURE » intitulé
Pandora (for Cindy).

 

In my sleep I’m still falling…-

 

Après
presque quatre années, fin 1987, paraît « IN THIS WORLD ».
Initialement ce projet est édité en deux parties séparées :
la première prolonge les expériences du premier album, tandis
que la seconde comprend des titres quasi instrumentaux lents, hantés
par la nostalgie, l’onirisme et l’amour. Ces deux disques composent
un diptyque, possible reflet des tensions contradictoires au sein d’un
même individu.

Musicalement,
la violence du premier volet, réussit à transcender la noirceur
de « CAMOUFLAGE HEART » jusqu’à offrir des couleurs
vives, tranchées qui font des brèches dans le mur sonore. Ce dosage
subtil apporte une ampleur nouvelle au travail de CINDYTALK, lui donnant une
saveur au lyrisme lumineux, défaisant quelques filaments de la toile
jusqu’à lors nihiliste. La voix se pare de multiples accents encore inconnus,
hérissant notre échine d’autant de frémissements.

Le
deuxième disque est le prélude d’une nouvelle orientation
musicale où piano et sons divers vont devenir prépondérants.
Guitares, batterie ou boite à rythmes sont rangées, la voix s’absente
également. Au delà de la surprise, l’écoute provoque
un émerveillement que ne sauraient retranscrire les mots ; les émotions
affluent, la mélancolie sourd. Envoûtés et bouleversés,
la voix revient tel un fantôme nous entourer, nous fasciner jusqu’aux
larmes.

 

A
la même période, Gordon Sharp envisage de travailler avec Jarboe
(la chanteuse de SWANS et de SKIN), hélas ce projet restera inabouti…

 

-A
sparrow dances piercing holes in our sky.-

 

Enregistré
en 1989, sorti en 1990, l’album « THE WIND IS STRONG… »
est une -CINDYTALK diversion- selon le groupe ; une bande son pour un film
expérimental intitulé « ECLIPSE ». Le groupe
y dispense une musique dans la lignée de la seconde partie de « IN
THIS WORLD », l’exercice est encore plus aride et minimal,
le piano et les sons atmosphériques tissent un paysage à l’image
de la pochette : une forêt sépia à la fois sombre et
déchirée par une lumière hivernale. Emmené sous
la voûte sylvestre, environné de bruissements, l’esprit vacille
entre introspection, enchantement, recueillement et chimères. Longtemps
attendue, épiée derrière chaque note de piano, la voix
de Gordon Sharp reste invisible, voilée en un mutisme inquiétant.

 

Peu
de temps après, Ivo (4AD) tente de rallier Gordon Sharp dans la perspective
du troisième opus de THIS MORTAL COIL, une mésentente au sujet
de la musique (pour Gordon) et de l’interprétation vocale (pour
Ivo) conduit à l’abandon de ce projet : une reprise de Help
me lift you up
de Mary Margaret O’Hara ; finalement le morceau
sera interprété par Caroline Crawley (SHELLEYAN ORPHAN) et Deirdre
Rutkowski.

 

-Song
of changes.-

En 1991, « SECRETS AND FALLING » voit le jour, ce EP contient
quatre titres qui ouvrent les portes d’un nouveau CINDYTALK. Ce disque
est une renaissance : la voix réapparaît plus troublante et
présente que jamais, les instruments guitare-basse-batterie s’imposent
à nouveau au sein des bribes de sons atmosphériques. Une vie lumineuse,
furieuse, chaleureuse et meurtrie s’épanche, sur In sunshine,
une trompette corrobore la joie frémissante tout en lovant la mélodie
sous une chape de nostalgie. La descente aux Enfers de Empty hand roidit
l’atmosphère, faisant courber l’échine aux envolées
lyriques de la voix de Gordon Sharp, la douleur culmine à l’unisson
d’un plaisir suprême.

 

Peu après, le duo minimaliste heavenly italien BLACK ROSE l’invite
à participer à leur troisième opus discographique :
« THE ROOM INSIDE ». La collaboration nous permet de découvrir
les titres de CINDYTALK Touched et Circle of shit dans des versions
étonnantes où se joignent les voix de Mara Bressi et de Gordon
Sharp, le troisième titre issu de cette session est un inédit
Moon love co-écrit par les deux vocalistes ; entendre Gordon
Sharp dans un environnement sonore si singulier mérite beaucoup plus
q’un détour.

 

-MACBETH-

 

En 1992, Gordon collabore avec Robin Guthrie (COCTEAU TWINS) le temps d’un
titre inédit enregistré au profit de VOLUME 5 (la fameuse série
de compilation+livre de Rob Deacon), caché sous le nom de MACBETH, il
nous offre son interprétation du titre refusé par Ivo, la musique
de ce Help me lift you up est somptueuse, éclipsant la version
de THIS MORTAL COIL, la voix est douce et tendue, granuleuse et soyeuse. Clin
d’œil envers ses amis écossais, il envisagea d’utiliser
Lucybelle (la fille de Liz Fraser et Robin Guthrie) pour des backing-balbutiements,
Ivo l’ayant déjà « embauchée »
sur l’album « BLOOD » de THIS MORTAL COIL (écoutez
attentivement le disque !), il renonça. A l’époque,
Gordon songe à utiliser MACBETH comme une entité susceptible d’abriter
ses penchants les plus accessibles ou des reprises de chansons traditionnelles
écossaises (… !). Finalement, alors que le nouvel album de CINDYTALK
est prêt mais repoussé faute de label (la faillite de MIDNIGHT
MUSIC fin 1991…), le projet MACBETH ne pourra se concrétiser.

-Thisyearnextyearsometimeforever-

 

Ce n’est que fin 1994, que « WAPPINSCHAW » voit
enfin le jour sur le propre label du groupe : TOUCHED, soutenu par WORLD
SERPENT. Cet album est un retour aux sources pour CINDYTALK : l’Ecosse
et l’insurrection. Hanté par la cornemuse de Calum Williams et
par les âmes fantômes de Meinhof, Rimbaud, Pasolini, Tarkovsky,
Wallace…, l’album oscille entre agressivité et tendresse, réunissant
sur un même disque les deux pôles de « IN THIS WORLD ».
Musicalement la profondeur des atmosphères et l’aspect de chair
et de sang des instruments confirment l’évolution de « SECRETS
AND FALLING » ; CINDYTALK erre entre spasmes, déchirures,
envolées, lascivité et lacérations ; dispensant une
musique vouée à l’âme baignée de sang, au corps
baigné de larmes.

« PRINCE OF LIES » réapparaît, sous la forme
d’un quarante-cinq tours, quelques mois plus tard dans une version tout
aussi tortueuse, sur la face B, Muster (le titre caché auparavant
à la fin de la version CD de « WAPPINSCHAW ») désintègre
la mélodie, un chant apoplectique y projette les mots : « Beauty
will be convulsive or not at all
 » ; la phrase de Breton
ici scandée tel un talisman au pouvoir irrationnel ramène à
la vie les âmes immortelles d’autres insurgés.

Nous laisserons Gordon Sharp décrire sa musique par lui-même, (répondant
en 1987 aux questions d’un fanzine aujourd’hui éteint) :
« La musique de CINDYTALK est une musique sombre, mais c’est
surtout une musique de l’âme, elle peut-être effrayante, irrégulière,
agressive… ou tendre. Le disque est extrêrme, la voix hurle, elle caresse
et s’impose par effraction mais chacun peut y trouver quelque chose…
C’est une musique de l’émotion. Je suis très présent
mais c’est une relation au monde que je propose. »

 

Article
réalisé par Stanislas Chapel.

(TRINITY
n°2)

Discographie:

CINDYTALK:

« CAMOUFLAGE
HEART » LP/CD (1984)

« IN
THIS WORLD » part 1 LP/part 2 LP/CD part 1+2 (1987)

« THE
WIND IS STRONG » LP/CD (1990)

« SECRETS
AND FALLING » 12 »/MCD (1991)

« PRINCE
OF LIES » 7 » (1994-TOUCHED)

« WAPPINSCHAW »
LP/CD (1994-TOUCHED)

« TRANSGENDER
WARRIOR » 7 » ltd 150 ex. (2003-KLANG GALERIE)



Projet
parallèle :

MACBETH
avec le titre Help Me Lift You Up sur la compilation « VOLUME
V » cd+book (1992-TOTAL)



Collaborations :

COCTEAU
TWINS « GARLANDS » version cd ou k7 (1983-4AD) contenant
la Peel Session de janvier 1983 où Gordon intervient sur Dear Heart
et Hazel.

THIS
MORTAL COIL « s/t EP » 12’’ (1983-4AD) sur
Sixteen Days-Gathering Dust.

THIS
MORTAL COIL « KANGAROO » 7’’ (1984-4AD) sur
Kangaroo.

THIS
MORTAL COIL « IT’LL END IN TEARS » lp/cd/k7 (1984-4AD/VIRGIN)
sur Kangaroo, Fond Affections et A Single Wish.

BLACK
ROSE « THE ROOM INSIDE » cd (1991-CONTEMPO) sur Touched,
Circle Of Shit et Moon Love.

PANKOW
« TREUE ENDE » LP/CD (1991-CONTEMPO)



Compilations :

Nombreux
titres sur des compilations souvent wave-industrielles…

« BETWEEN
TODAY AND TOMORROW » lp (1986-MIDNIGHT MUSIC) contient un inédit
superbe : Splinter And Move.



Actuellement
nous attendons le nouvel album de CINDYTALK, après les rééditions
de ces albums (parus à l’origine sur MIDNIGHT MUSIC) et malgré
une désertion massive des auditeurs contemporains vers des rogatons de
musique: monolithiques et sans profondeurs ; la musique hantée,
amante et tragique de CINDYTALK ira droit au cœur de tous les Vivants.


1 commentaire

Cindy是who? – Flux:pop · 13 mars 2018 à 7 h 00 min

[…] Cindytalk (Cultes Anciens octobre 1997) 大意提到,鉴于Cindytalk在《Camouflage […]

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